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Onay Akbas - Un peintre en son royaume


Onay Akbas peint à Paris depuis une vingtaine d’année. II a réalisé plus de 1300 oeuvres,
dispersées au sein de multiples collections. Il est turc et français, marié, père de deux enfants. Sa
peinture allègre et imaginative est apparentée au Nouvel Expressionnisme et à la Figuration Libre.
Dans son atelier du 13e arrondissement de Paris, le peintre Onay Akbas règne au milieu d’étranges
personnages colorés aux formes géométriques, tout droit sortis de son imagination. Ces créatures,
baptisées les akbassiens, jouent pour lui des scènes de pouvoir, revisitent des mythes et des
pièces de théâtre, incarnent le spectacle du monde, avec toujours une touche d’ironie, beaucoup
d’humour et une bonne dose de lucidité.

Onay Akbas se définit lui-même comme un « enfant gâté de l’histoire de l’art ». Il l’a même enseigné
quelque temps à l’université. Ses influences sont diverses et variées : de Gauguin à Munch, de
Goya à Diego Rivera, de Van Gogh au peintre turc Siyah Kalem.
Il est passé par une période baroque, puis impressionniste avant d’affirmer son style,
reconnaissable entre mille. On y retrouve un héritage classique dans l’équilibre de la composition
mais ce qui saute d’abord aux yeux, c’est l’influence expressionniste dans son usage des taches et
des couleurs. « J’y trouve un champ de liberté totale pour m’exprimer », souligne-t-il. Ses toiles
kaléidoscopiques éclatantes transportent le spectateur dans un univers onirique et métaphorique.
La représentation de l’espace, le savant assemblage de formes et de coloris, donnent une
profondeur au tableau dans laquelle le spectateur est invité à se perdre pour mieux côtoyer l’idée de
l’œuvre. Car ce qui guide le peintre dans sa démarche artistique, c’est avant tout un
questionnement philosophique. « J’ai besoin d’une raison pour peindre », affirme-t-il.

Par cycles de 4-5 ans, l’artiste se penche sur un thème et se documente abondamment avant de
donner vie et sens à ses étonnantes créatures dans plusieurs centaines de mises en scène. Il
réalise une esquisse à main levée puis la reproduit sur toile. Une fois les contours dessinés, il laisse
les couleurs s’exprimer à travers son pinceau.
Car si sa peinture est narrative et réfléchie, elle reste intuitive. Le thème se révèle au peintre toile
après toile. Celui-ci progresse sur le fil de l’inspiration, et son discours imagé prend forme
progressivement. L’œuvre et l’artiste communiquent, interagissent, s’influencent mutuellement.

Onay Akbas travaille tous les jours, seul et sans tablier. Il dit avoir besoin de son art pour se sentir
bien et pour découvrir à chaque tableau une nouvelle facette de sa personnalité. « Pratiquer mon art
a une fonction thérapeutique, je l’utilise pour m’atteindre moi-même », confie-t-il. Dans sa peinture,
l’artiste n’a de cesse de tisser des liens entre l’allégresse de ses  rêveries et la sombre réalité du
monde. En effet, le jeune Onay Akbas a connu le meilleur comme le pire.

Né dans un village anonyme au bord de la mer noire, il vit d’abord une enfance heureuse. La famille
est soudée et partage les repas dans le même plat sous la lumière de la lampe à pétrole. La nuit, il
regarde les étoiles dans un ciel intensément lumineux. Il rêve ardemment de parcourir cet espace
infini qui nourrit son imagination. Jeune homme, il passera même les concours pour devenir
astronaute ! Il échouera et se réconfortera avec la peinture, « un espace encore plus grand à
explorer », précise l’intéressé.

Mais le jeune Onay, même s’il a la tête dans les étoiles, est contraint de garder les pieds bien sur
terre. A 10 ans, son père meurt et l’enfant rêveur doit très vite s’assumer comme adulte. Puis à 16
ans, il apprend que son frère aîné, instituteur, a été victime d’un guet-apens lors des conflits
politiques sanglants des années 70.

Comme un symbole, il garde de cette époque une trace indélébile dans la main avec laquelle il
peint. En nettoyant l’arme de son frère décédé, le coup part tout seul. Sa paume est couverte de
sang, son petit doigt et son pouce sont cassés.

Deux ans plus tard, à cause de simples photos prises à l’université, il sera à son tour raflé et
incarcéré plusieurs mois. Il sortira gravement malade, atteint de la tuberculose. Autant dire que sa
chair et son âme sont profondément marquées par ces événements, par la cruauté de la politique et
par l’injustice. En 2010,  le peintre attaque un nouveau cycle de réflexion intitulé « Le carnaval de
l’existence ». Après « Les Epouvantails », « Le Monde Théâtre », « Les Faux-Prophètes » ou encore
« Jeux-Jouets-Pouvoir », c’est pour lui une nouvelle occasion de questionner certains de ses sujets
de prédilection comme l’illusion du libre-arbitre, la manipulation, la représentation du pouvoir et le
pouvoir de la représentation.

Malgré toutes ces épreuves, le peintre a cultivé une imagination débridée et une joie de vivre qui se
lisent dans son œil rieur et la générosité de son sourire. Et gageons qu’il abordera ce nouveau
thème avec les teintes chatoyantes et le ton enjoué qui le caractérisent. Car c’est cela le secret de
la peinture d’Akbas : sa quête de sens se magnifie dans l’esthétique de l’univers gai des akbassiens